Le toucher pianistique

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CONCLUSION

Le toucher pianistique est un concept utilisé de façon constante pour rendre compte de la qualité sonore de l’interprétation d’une œuvre. Il est également utilisé par les pianistes pour désigner la finalité de la technique du piano.


    Nous avons dans un premier temps rappelé l’historique du piano. Cet instrument offrait de nouvelles possibilités sonores dans la mesure où il permettait de réaliser des contrastes de nuances : piano e forte qui furent d’ailleurs à l’origine de l’appellation de l’instrument. Cette nouvelle possibilité de dynamique, permettait alors d’envisager des inflexions dans une phrase musicale avec autant d’expression que celle émise par les instruments n’appartenant pas à la catégorie des claviers. C’est pourquoi nous avons retracé, dans ses grandes lignes, les origines et l’évolution de la technique du piano. Les recherches effectuées montrent bien que les bases de la technique pianistique reposent sur l’adaptation à un clavier qui développe de nouvelles possibilités. Puis l’évolution se fait en parallèle avec les avancées de la facture instrumentale. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les recherches de la technique s’interrogent sur la spécificité du toucher et qu’elles rencontrent des divergences de point de vue.


    Lorsque la période expérimentale de la technique fut dépassée, les débats se regroupèrent autour du travail de la sonorité. Nous avons recherché dans la littérature musicale, des témoignages de pianistes du XXe siècle. C’est à travers leurs écrits que le toucher fut envisagé dans l’enseignement mais aussi dans leur questionnement d’interprète.


Nous avons ensuite rencontré cinq pianistes qui ont accepté de nous parler de leur pratique dans le cadre de leurs activités : l’enseignement et le concert. Cela nous donna l’occasion d’organiser un questionnaire dont l’objectif était de cibler plusieurs domaines susceptibles de concerner le toucher pianistique : celui du corps, de l’ouïe, du regard, de la référence à une culture constituée par les pianistes dans leurs différents parcours professionnels et dans les aspects singuliers de leurs personnalités.

    Les réponses aux interviews ont permis de confirmer que, pour les pianistes, le sens du mot toucher n’est pas univoque et que la richesse du mot français induit des champs d’applications variables.



    La lecture des réponses s’est effectuée sur la base d’un axe dont nous rappelons le déroulement : une phrase musicale est mentalement envisagée par le pianiste. Cette intention musicale est à l’origine des gestes techniques qui en permettent la réalisation, sous le contrôle de l’oreille qui en assure une production conforme. C’est ce travail d’écoute qui assure la cohérence du texte musical.

Enfin, la comparaison avec le terme allemand nous a permis de constater que cette langue, contrairement à la langue française n’induit pas de la même façon, la dimension imaginaire puisque sa signification ramène l’action de toucher à la caractéristique mécanique de l’instrument.

Il faut dire que le piano a une place particulière. Il peut à lui seul évoquer un orchestre grâce à ses possibilités polyphoniques, comme il peut être émouvant, autant qu’une voix humaine dans la simplicité d’une phrase monodique. Pourtant, par son mode de production du son, il est à l’opposé du chant.

Dans son caractère fondamental, le timbre du piano est neutre. C’est ce qui explique son pouvoir d’évocation. Ce n’est pas un hasard si de nombreux compositeurs lui ont confié leurs aspirations les plus intimes. Comme l’a dit Robert Schumann  dans une lettre à Clara: « Tous les hauts sentiments que je ne puis traduire, le piano les dit pour moi. » (1828).


Qu’un pianiste choisisse, dans son discours sur le toucher, de privilégier le geste, n’exclut pas, pour autant, le point précédent qui est la représentation, par l’audition intérieure, de l’inflexion musicale qu’il choisit de donner à son interprétation. De quelque endroit où le pianiste se place, cela ne change en rien le contenu de son travail. Simplement son choix donne un éclairage différent à son discours sur le toucher. Chacun fait avec la réalité du toucher pianistique. Certains en font le point de départ de leur technique, d’autres prennent comme repère initial, les sensations liées aux gestes ou bien choisissent de privilégier les repères auditifs. Si les chemins parcourus ne sont pas identiques, le but poursuivi est le même : parvenir à restituer une œuvre dont le travail, dans toutes ses composantes,  assure la cohésion de la partition.


Nous ne savons pas ce qui détermine le choix de l’investissement cérébral (l’audition) ou le choix de l’investissement dans les gestes (la sensation). Cette question nous remet en mémoire une lecture que Claudio Arrau conseillait systématiquement à ses élèves : Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc de Eugen Herrigel. Ce petit livre raconte l’histoire de ce philosophe allemand qui s’est entraîné au tir à l’arc pour comprendre le Zen. Selon Claudio Arrau, cette discipline constitue une excellente préparation mentale et prédispose à la détente du corps. Au-delà de sa contribution à une bonne concentration, elle vise à obtenir une parfaite disponibilité des gestes.

Il nous semble, que dans la pratique du tir à l’arc, inspiré de l’enseignement du Zen, une répétition concentrée sur le geste, sans en envisager le but, lui permet d’acquérir une autonomie.  Cette répétition permet d’accéder à une conscience dépassée. Le geste semble n’obéir qu’à lui-même.  Dégagé de la contrainte technique, il permet alors à l’artiste de vivre l’accomplissement de son œuvre en harmonie avec son corps et son esprit.

Au départ de notre travail, il y avait le terme de toucher. Souvenons-nous qu’en dehors du sens du tact, un dictionnaire général distingue deux sens essentiels à ce terme : l’action et la manière de toucher. Vers 1690 il est associé à la musique, et désigne la manière de jouer d’un instrument à touches qui fait la qualité de la sonorité. Mais peut-on attribuer pour autant, à ce terme, un sens spécifique au domaine musical alors que les dictionnaires de musique ne peuvent en donner une définition explicite ? Cette question s’affirme encore au regard des réponses des pianistes à nos questions. En effet nous retrouvons dans leurs propos les deux sens généraux attribués au toucher : l’action et la manière de toucher :

- Toucher le clavier désigne le moyen, soit le geste en lui-même ;

- La manière de le toucher implique le but de ce geste : la sonorité.


Comment articuler « moyen et but » ouvre à toutes sortes de combinaisons possibles : ceux qui pratiquent l’art du Zen, font abstraction du but alors que pour d’autres, le but détermine le moyen. Envisager le but, c’est soumettre le geste à l’idée. Mais conjointement, « quelque chose » dans le geste échappe à l’idéation et c’est précisément dans ce qui s’effectue à l’insu du pianiste que se manifeste l’intime du pianiste.



« Du moment que l’esprit s’en forme d’abord une vision claire,

le pinceau ira jusqu’à la racine des choses. »


Shitao

(moine-peintre chinois 1642-1707)


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