Le toucher pianistique
I. LE PIANO : HISTOIRE ET FACTURE
B. Le mécanisme du piano
Afin de mieux comprendre ce qui est en jeu dans le toucher d’un pianiste, parcourons, dans les grandes lignes, le trajet qui va de la touche abaissée par le doigt à la corde frappée par le marteau. Nous choisissons de n’évoquer que la mécanique, pour ne prendre, dans « l’anatomie » du piano que ce qui intervient dans le geste du toucher. Ce contexte passe sous silence tout ce qui, dans un piano, participe à son timbre, sa sonorité. Des pièces maîtresses, indispensables que nous n’omettons pas. Ce choix sélectif est la volonté de mettre en exergue le toucher et la mécanique.
La mécanique moderne d’un piano à queue est, avec plus de 5’500 pièces (chiffre variable suivant les modèles) un assemblage très complexe. Les sons sur un piano sont provoqués par la percussion des marteaux au niveau des cordes et sont amplifiés par la table d’harmonie.
Tous les sons pouvant être émis par un piano sont regroupés sur un clavier. À chaque note correspond une touche qui commande une mécanique comportant environ une soixantaine de pièces.
La touche est une sorte de levier. Sur l’extrémité de la touche est fixé le pilote. Lorsque la touche est abaissée, son extrémité bascule et soulève le pilote qui transmet le mouvement d’attaque et lance le marteau contre la corde. Simultanément, l’étouffoir se lève afin de laisser la corde vibrer librement. L’échappement tire le marteau en arrière lorsque la touche est lâchée. Le deuxième échappement reprend le marteau, marquant comme un temps « d’hésitation » à redescendre, ce qui permet au premier échappement de se repositionner. La touche peut reprendre son action et relancer le marteau qui est resté au voisinage de la corde. Si la touche est relâchée, même partiellement, l’étouffoir retombe sur les cordes et interrompt le son de la note. Lorsque la touche est complètement relâchée, toutes les parties du mécanisme retrouvent leur position initiale.
Ces quelques lignes donnent une idée des nombreux relais intervenant entre les différentes pièces de la mécanique.
Et pourtant lorsque le pianiste est à son clavier, il ne pense pas à cette mécanique sophistiquée et son désir est de saisir le son d’une façon aussi immédiate qu’un violoniste qui est en contact direct avec la corde. Comme celui-ci, il espère véritablement « modeler » le son.
C’est sûrement dans le travail du jeu legato que la mécanique du piano, dans sa complexité, est aux antipodes de l’immédiateté plus ou moins relative d’autres instruments.
Lier deux sons au piano relève d’un défi. Comme nous l’avons dit précédemment, le son produit par la percussion du marteau sur la corde ne peut plus être transformé dès que l’attaque de la touche est réalisée. Le son diminue progressivement puis s’éteint. Nous pensons que cette réalité du piano nourrit la passion qu’ont souvent les pianistes vis-à-vis d’une recherche de sonorité. Car le principe du jeu legato est basé sur une illusion. Le pianiste ne peut, dans une réalité objective, lier un son à un autre comme le fait un chanteur ou un instrument à vent dans un seul souffle. Et pourtant le pianiste réussit parfaitement à faire oublier la percussion en enchaînant le deuxième son avant que le premier ne meure, sans que l’auditeur ne perçoive une rupture.