Le toucher pianistique

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IV. INTERVIEWS RÉALISÉES AUPRÈS DE PIANISTES PROFESSIONNELS


B. Analyse des réponses

1. Une proposition de lecture

Comme nous le disions dans l’avant-propos, l’idée initiale de ce travail a été motivée par la polysémie du terme de toucher. Nous l’avons rencontrée lors de lectures se rapportant à la technique mais aussi dans les témoignages d’artiste qui évoquent leur travail d’interprète et la recherche que ce travail implique au niveau de la sonorité. Cette constatation nous a donné l’idée de baser notre étude sur des interviews réalisées auprès des cinq pianistes professionnels exerçant, avec expérience, le métier d’interprète. Leurs témoignages ayant pour support un même questionnaire, cela nous donne l’occasion, en comparant leurs réponses, de disposer d’éléments susceptibles d’éclairer la nature de cette dialectique.


Pour cela, tout en ayant conscience que l’analyse des réponses pouvait se faire à partir de plusieurs grilles de lecture, nous nous proposons d’étudier l’ensemble des arguments selon un axe développant la logique suivante :

- Il part de la « mise en gestes » à partir d’un texte musical imaginé mentalement dans son aspect sonore selon des critères d’interprétation propres à chaque pianiste ;

- Il se poursuit par l’intervention de l’oreille qui est chargée de contrôler le discours du texte musical ;

- Il aboutit à l’interprétation qui est donnée à entendre.


Cet aboutissement n’est pas envisagé comme une fin, puisque tout au long de l’interprétation, s’établit un phénomène de retour entre le dernier point qui représente la « production sonore » réalisée par l’interprète et la « mise en gestes » du départ. En effet le pianiste effectue, grâce au contrôle exercé par l’oreille, un va-et-vient incessant entre le texte musical dans ses intentions d’expression et sa finalité musicale. Le temps musical se déroule en boucles et le mouvement perpétuel effectué par l’oreille du pianiste assure la cohésion de l’œuvre.


Au regard de cette grille de lecture, nous avons fait deux constatations :

- Pour une catégorie de pianistes, le toucher suggère prioritairement la sensation physique sur laquelle ils prennent appui. Sur cette base vient se greffer le travail de l’oreille qui est l’autre temps fort de la réalisation musicale. Le corps est vécu comme un allié et les gestes maîtrisés obtenus par le travail technique, apportent au pianiste la disponibilité nécessaire au temps de l’écoute. C’est pourquoi les pianistes parlent alors de l’importance de ressentir le calme intérieur qui est pour eux la garantie de pouvoir conduire librement leur interprétation.

- Pour une autre catégorie de pianistes, le toucher s’installe spontanément dans l’audition. La sensation est perçue, intégrée et l’attention se tourne immédiatement vers la sonorité et c’est autour de cette cristallisation que les gestes techniques s’enchaînent. Les choix ne se réfèrent pas tous au même enjeu : pour certains la recherche de sonorité s’articule autour de la spécificité de l’instrument, pour d’autres elle procède d’une relation singulière et sensorielle au monde auditif.


Ces constatations nous permettent de dire que les pianistes, s’ils utilisent les mêmes centres d’intérêt dans leur travail d’interprétation, ne choisissent pas, comme priorité, le même point de départ sur cet axe. C’est pourquoi, dans les textes lus mais aussi dans ceux des pianistes interviewés, les uns parlent plus facilement de l’aspect physique de la pratique instrumentale et des sensations corporelles qui s’y rattachent tandis que les autres évoquent plus spontanément la sonorité.


Pour résumer cet argument, nous avons choisi quelques phrases qui illustrent de façon précise le point de rattachement de chacun des pianistes :

- Dany Rouet : « Le toucher, c’est le côté agréable du grain de la touche, c’est l’aspect sensoriel, d’une sensualité plus globale qui est aussi celle de l’ouïe et du corps tout entier. ».

- Amy Lin : « Le toucher c’est une sensation de l’oreille. »

- Michel Gaechter : « Le toucher, c’est la vitesse d’attaque. »

- Dominique Gerrer : « Le toucher, c’est une perception de la musique que l’on porte à l’intérieur de soi, avant d’en avoir la réalisation concrète, c’est une circulation continue. »

- Dominique Merlet : « Le toucher débouche sur un univers sonore personnel. »


Dans la deuxième partie de notre travail, « Théorisation et recherches pédagogiques », dont la source provenait de la littérature technique du piano, nous citions deux courants pédagogiques qui présentaient les mêmes paramètres.

- Un courant articulait sa pédagogie autour du travail sur le geste. Nous avions choisi comme référence à ce courant Marie Jaëll. Le but de ses recherches visait à offrir aux pianistes la possibilité d’effectuer, en développant leurs capacités tactiles, une variété de types de touchers au service d’une qualité sonore.

- Un autre courant pédagogique représenté par Heinrich Neuhaus, Karl Leimer et Walter Gieseking mettaient l’accent sur la priorité à donner au travail pianistique : développer les capacités de l’oreille et entraîner son esprit à la concentration. Cette pédagogie amenait le pianiste, en développant ses capacités auditives, à enrichir son interprétation grâce à ses possibilités d’imaginer, intérieurement, une variété de sonorités.

C’est peut-être ce qui fait que les réponses des pianistes d’aujourd’hui répondent aux mêmes références que celles des pianistes du passé. Nous pensons que les pianistes, tout en poursuivant le même but assigné à leur fonction d’interprète qui est de servir au mieux un texte musical, procèdent néanmoins d’une démarche dont le point d’ancrage est variable. Ce point est à l’essence de la démarche des pianistes. C’est à partir de cet essentiel qu’ils élaborent une réflexion qui leur permet d’organiser leur travail et de lui donner un sens conforme à leur personnalité singulière.


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