Le toucher pianistique

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IV. INTERVIEWS RÉALISÉES AUPRÈS DE PIANISTES PROFESSIONNELS


B. Résumé des réponses à l’interview

5. Le toucher au-delà du geste technique


Avant de quitter le domaine de la technique, Dominique Merlet insiste sur son importance, la qualifiant de passage obligé : « Avant d’être un grand artiste, il faut être un grand technicien. » Michel Gaechter, dans la fin de sa réponse, introduit l’idée de cet au-delà de la technique : « [le toucher est un savoir-faire technique] dans le travail oui, dans la mesure où il est lié à l’œuvre musicale elle-même, il y a aussi la compréhension de l’écriture, d’un style, de l’harmonie, d’un phrasé, mais il y a aussi la sensibilité. Tout ça c’est de la technique, mais le vrai fond de l’histoire n’est pas technique. »

Une fois que nous quittons le domaine de la technique, les individualités s’affirment. Dans leur discours, même si cela était déjà sensible précédemment, Dany Rouet et Dominique Gerrer insistent sur l’importance déterminante, selon elles, de la vie intérieure et de son influence sur la singularité d’un toucher.

« On peut apprendre à toucher un piano, on peut apprendre à avoir une sonorité aussi proche de ce que l’on désire faire entendre, mais chaque être, par son expression intérieure, va donner une autre lumière, une autre couleur à l’expression. » (Dominique Gerrer)

« En dehors du savoir-faire technique, il y a l’état intérieur qui détermine ce qui se transmet dans le toucher et tout ce qui est de l’ordre du mystère de la personne se transmet dans le son produit […] sinon pourquoi un piano sonnerait différemment suivant la personne ? » (Dany Rouet)

Amy Lin ne limite pas le toucher à un savoir-faire technique, mais dit : « Pour moi, c’est vraiment mystérieux parfois pour expliquer le toucher. Pour moi, la vraie technique, c’est la capacité de transmettre ce que l’on veut faire entendre par le moyen des doigts. »


• Une qualité s’ajoute au savoir-faire technique

Si l’on admet qu’un pianiste peut être différencié d’un autre, à l’écoute, il faut également admettre qu’à savoir-faire technique égal, s’ajoute une autre qualité. Dominique Merlet la définit clairement : « En plus de la technique, il y a cette poésie, ce plus, qui est fait de ce que l’on porte en soi, ce que l’on a dans la tête, dans le ventre, il y a la culture aussi. »

Si nous considérons cette citation, nous pouvons définir le « plus » qui singularise le toucher d’un pianiste par :

- « Ce que l’on porte en soi » qui est l’histoire de chacun et de sa culture familiale, de ses origines natales ;

- « Ce que l’on a dans la tête » pourrait être formulé par cette audition intérieure dont nous avons déjà parlé. Le pianiste, au moment de jouer, entend intérieurement l’œuvre telle qu’il désire la transmettre à son public ;

- « Ce que l’on a dans le ventre » est à mettre du côté de la personnalité du pianiste ;

- « La culture aussi » se regroupe autour des connaissances musicales bien sûr, mais aussi de tout ce qui entoure une œuvre : son auteur, son époque, son environnement culturel.

Dominique Gerrer par sa formulation, rejoint la même idée : « C’est ce que l’on est intérieurement, ce que l’on a entendu, pu connaître et appris qui fait que l’on a tel ou tel toucher. » Nous retrouvons également avec Dany Rouet, la notion d’intériorité « En dehors du savoir-faire technique, il y a l’état intérieur qui détermine ce qui se transmet dans le toucher et tout ce qui est de l’ordre du mystère de la personne. »

Pour préciser ce point, notre questionnaire s’organise autour de deux axes en posant dans un premier temps la question sur l’éventualité d’une transmission familiale au niveau du geste. Dans un deuxième temps il interroge le pianiste sur l’idée d’un lien entre la personnalité intime du pianiste et la singularité de son toucher.


• Une culture familiale du toucher

Répondant à cette question, Dominique Merlet y entend une éducation du toucher et évoque l’existence de ces petits livres que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce et qui proposent aux très jeunes enfants des surfaces différentes afin d’aiguiser les sensations de leur toucher. Puis : « C’est très important ces sensations mais je ne sais pas à quel degré une culture du geste dans la famille laisse une empreinte. »

Michel Gaechter exprime son doute quant à l’utilité de cette question : « Difficile d’y répondre, mais il y a forcément un rapport dans la mesure où l’éducation nous influence depuis le départ, il n’y a pas de raison que le toucher soit exempt de cette influence-là. Mais est-ce que ça peut vraiment faire avancer les choses ? Je ne sais pas. »

Dominique Gerrer, elle aussi, adhère à l’idée d’une influence sur le toucher par une transmission parentale : « Oui, absolument. Toucher, c’est une qualité d’être. Si l’être humain apprend par imitation, la qualité du geste sera aussi imitée, apprise et avec elle, le respect de la préhension des choses sera aussi transmis. »

Pour Dany Rouet, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : « Au-delà du contexte pianistique, toucher c’est émouvoir, donc c’est en relation directe avec tout ce que l’on a reçu, avec les empreintes affectives et avec notre histoire. »

Amy Lin hésite à établir une filiation entre le toucher et la culture familiale : « Je ne suis pas sûre, je pense qu’on apprend beaucoup de choses de nos parents, je pense qu’on apprend les gestes, mais le toucher, je ne suis pas sûre. On peut être aussi à l’opposé de ce que l’on a appris d’eux, mais l’opposé, c’est aussi une façon de se référer à une transmission parentale. »

Envisager une transmission familiale au niveau des gestes ne recueille pas une totale adhésion auprès des pianistes. Elle n’est pas refusée et les pianistes qui se prononcent en sa faveur font directement référence au mot toucher dans le sens d’émouvoir.

C’est pourquoi cette incursion dans le domaine du toucher, pris dans son sens général : toucher des objets, une personne etc. nous permet de faire le lien précisément avec le toucher pianistique. Si le toucher pianistique n’est pas seulement un savoir-faire technique, nous pouvons essayer de clarifier ce « plus » dont parle Dominique Merlet.


• Singularité du toucher pianistique et personnalité intime du pianiste

Nous avons poursuivi en essayant d’établir, toujours dans l’objectif de mieux cerner la spécificité d’un toucher pianistique, un lien entre le pianiste et la qualité de son toucher dans la pratique du piano

Cette question a recueilli une longue réponse de la part de Dany Rouet dont nous reprenons les temps forts : « Je pense que l’on joue comme on est. Je pense que les ressources sont en chacun et le son que l’on produit est le témoignage de ce que l’on est […] C’est par la façon d’approcher le clavier, par son savoir-faire, sa morphologie et l’état intérieur dans lequel on se trouve à ce moment-là que la personne obtiendra la sonorité individuelle qui la distinguera d’une autre personne. Je trouve que c’est un mystère extraordinaire. Certains vont fonctionner de manière plus cérébrale, mentale ou analytique et la musique sera chargée de cette approche. D’autres sont plus spontanément dans le registre de l’affectif ou de l’émotionnel et la musique traduira cela au niveau de l’interprétation et notre rapport à l’instrument sera teinté de cette sensibilité […] C’est comme s’il y avait un phénomène vibratoire en chacun de nous, c’est une forme de charisme qui transmet un fonctionnement différent selon l’individu et la musique sera chargée des qualités de chacun ».

Dominique Gerrer adhère à l’idée de ce lien mais y introduit une autre qualité : « Oui, il y a un lien invisible et profond, mais il ne faut pas non plus tout ramener à ce que l’on est […] Il peut y avoir une qualité artistique en dehors de la qualité humaine ». Elle étaye sa pensée par l’exemple de Glenn Gould : « Il avait une attitude singulière dans sa façon de vivre, qui semblait très phobique mais lorsqu’il jouait, il pouvait entrer dans la musique en état d’harmonie […] L’être humain semble intérieurement posséder, même si cela ne se traduit pas dans la vie, des qualités formidables et qui se révèlent dans une activité artistique[…] Je voudrais introduire la notion de sentiment au sens de sentir les choses, par l’intérieur, pour pouvoir les traduire de l’intérieur. Le sentiment artistique n’est pas détaché de l’humain. Cette vibration, l’écho, le « senti » du sentiment, c’est primordial pour la qualité artistique. Pour moi, c’est ça la personnalité intime et ça va donner une profondeur particulière au toucher. […] pouvoir traduire les idées musicales que l’on porte en soi car on peut aussi avoir un toucher magnifique et ne rien en faire. ».

Amy Lin emprunte un autre chemin : « C’est ce que l’on veut dire et comment on le dit qui est important. Cela vient vraiment de l’intention de communiquer […] Je pense que l’intime se dit dans la façon de communiquer. Je pense que lorsqu’un auditeur maîtrise bien la musique, il peut saisir quelque chose de l’intimité du pianiste […] Je pense qu’il serait plus juste de dire que ce qui fait lien avec le toucher du pianiste, c’est le courage plutôt que l’intime ou bien les deux. »

Pour Michel Gaechter le lien existe mais n’est pas quantifiable : « Il y a aussi les différences de personnalités de chaque interprète qui interviennent. La pratique d’un instrument ne peut pas être dissociée de la personnalité, de la vie de chacun, il y a forcément un lien, mais ce lien n’est pas forcément quantifiable. »

Dominique Merlet : « Oui, parce que tout cela vient de la tête et de l’oreille interne. La personnalité débouche sur un univers sonore personnel et je pense que plus un artiste vieillit et plus son jeu devient personnel. Parce qu’on ose davantage d’une part et ce qui constitue vraiment la recherche prédominante de l’artiste devient de plus en plus envahissant. »



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