Le toucher pianistique
IV. INTERVIEWS RÉALISÉES AUPRÈS DE PIANISTES PROFESSIONNELS
B. Résumé des réponses à l’interview
2. Une représentation du toucher
Le deuxième point du questionnaire traite de la représentation du toucher. Demander à chaque pianiste ce que représente le toucher pour eux, a un effet déterminant sur leur discours. Les réponses sont singulières, même si des éléments de réponses se retrouvent ou se rejoignent.
Les éléments qui interviennent dans leur discours à ce moment-là, font que les réponses nous plongent immédiatement au cœur d’une impossibilité : proposer une représentation univoque du toucher.
Dany Rouet éprouve le toucher en premier lieu comme une sensation physique, sensorielle et sensuelle : « Pour moi, c’est d’abord une question d’émotion et de plaisir. Le toucher, c’est le côté agréable du grain de la touche […] Il y a des mots qui me sont venus : caresser, palper, pétrir, effleurer, fouetter, projeter, amortir, tout cela au service de mille sonorités désirées. »
Dominique Gerrer présente sa réponse en deux temps : « Le toucher pianistique, c’est vraiment une sensation […] Le toucher, c’est le point de départ pour tout réaliser. Sans le toucher, sans cette réflexion, cette écoute de sonorité, c’est vrai qu’il n’est pas possible d’arriver à exprimer quelque chose. »
Amy Lin a d’abord une approche intellectuelle. Elle éprouve le besoin d’interroger rapidement la limite des sensations tactiles : « Donc le toucher, c’est ce contact du doigt sur le clavier, qui varie selon l’anatomie de la main [Mais] je peux jouer joliment un nocturne de Chopin avec la gomme d’un crayon, alors comment peut-on dire ce qu’est le toucher ? », et de poursuivre en disant : « Avant tout [le toucher] c’est une sensation de l’oreille pour moi ».
Elle termine sa réponse en évoquant le toucher dans sa définition technique ; « Le toucher, c’est la vitesse d’attaque […] Il y a de multiples façons d’effectuer une attaque et d’en contrôler la vitesse. »
Pour les deux pianistes masculins, il est, pour eux, évident que ce concept s’adresse en premier lieu à la technique dans le sens de l’approche du clavier. Ils font tous les deux références à ce qui définit en général le toucher pianistique : les différences d’attaque.
Michel Gaechter : « Ce qu’on appelle le toucher d’un pianiste, c’est vraiment la manière dont il gère le problème de la percussion […] Il s’agira toujours de vitesse d’attaque sur chaque doigt […] Alors parfois on cherche à mystifier cela, en se disant : « Oui, mais si on attaque de façon plus continue la touche, on aura un toucher différent. » À mon avis, ce sont des aspects psychologiques et pourtant ils peuvent effectivement jouer sur la réalité des choses car l’attaque sera forcément influencée, mais le son réel ne se fait qu’au moment précis où le marteau frappe la corde. »
Dominique Merlet : « Le toucher, c’est la manière de dompter l’instrument et d’en tirer une grande variété de touchers. Le toucher représente une infinité de types d’attaques, d’approches du clavier… »
Les éléments qui sont communs à toutes les réponses, concernent :
- La spécificité d’un toucher en fonction d’un style, d’une œuvre.
- La nécessité d’adapter un toucher à l’instrument sur lequel on joue.
- L’idée que l’on trouve un toucher en fonction d’une sonorité que l’on porte déjà en soi, mentalement et que l’on veut réaliser.
Nous retrouverons certains de ces éléments développés dans la suite de cette partie.