Le toucher pianistique

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III. Le toucher pianistique dans la littérature


B. Quelques témoignages pris dans la littérature technique

3. Pédagogies basées sur la singularité du pianiste



    b) Alfred Cortot

Alfred Cortot est l’auteur d’un ouvrage sur la technique du piano qu’il a intitulé : Les Principes rationnels de la technique pianistique. Il fonda en 1919 sa propre école dont les objectifs s’alignent, encore aujourd’hui, sur ceux du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris : former des professionnels de la musique. Pablo Casals, Jacques Thibaud, Nadia Boulanger, Paul Dukas, Wanda Landowska, Georges Enesco entre autres y ont assuré un enseignement et quelques célèbres élèves tels que Elliott Carter, Joaquim Rodrigo, Igor Markewitch, Dinu Lipatti, Samson François y ont été formés.


Un texte court est mis en exergue et précède une série d’exercices techniques.

Deux facteurs sont à la base de toute étude instrumentale :

- Un facteur psychique, duquel relèvent goût, imagination, raisonnement, sentiment de la nuance et de la sonorité ; en un mot, le style.

- Un facteur physiologique, c’est-à-dire habilité manuelle et digitale, soumission absolue des muscles et des nerfs aux exigences matérielles de l’exécution. [27]   


Les Principes rationnels de la technique pianistique d’Alfred Cortot présente la particularité d’élargir l’enseignement technique à la culture générale.

Pour développer les qualités psychiques, qui sont avant tout fonction de la personnalité et du goût, la pédagogie ne trouve guère de point d’appui que dans l’enrichissement de la culture générale, dans le développement des facultés imaginatives et analytiques, qui permettent la traduction des émotions ou des sensations évoquées par la musique. Il n’existe pas pour cela de bons ou de mauvais systèmes. Il n’y a que de bons ou de mauvais professeurs. [28]


Par ailleurs, la méthode d’Alfred Cortot est traditionnelle, dans la mesure où elle est conçue comme tout recueil de technique, avec une proposition de différents exercices de technique pure élaborée à partir de sa propre expérience de pianiste. L’originalité de la méthode d’Alfred Cortot est de ramener une difficulté à son « principe élémentaire » et de créer un exercice approprié qui permette ainsi à l’étudiant de résoudre le problème technique et de gagner un temps précieux.


Alfred Cortot nourrissait une idée à la fois haute et modeste de son rôle et il s’étonne de ce moment mystérieux que l’on rencontre dans l’enseignement où se transmet, à l’insu de l’enseignant quelque chose de sa personnalité.

Au fond, on n’enseigne pas, tout au plus suggère-t-on. Un terrain bien préparé, à la rigueur, on le fertilise. Mais par quels sortilèges communique-t-on à d’autres ce qui vous appartient aussi personnellement que la peau et les viscères ? Cette question je me la suis posée sans relâche, sans jamais pouvoir y répondre. [29]


On sait, par des témoignages, qu’Alfred Cortot faisait preuve d’une grande écoute vis-à-vis de ses étudiants et que son esprit était ouvert à d’autres conceptions que les siennes. Le moment particulier dont parle Alfred Cortot dans sa citation est fait de la rencontre de deux personnalités, qui ont de l’estime l’une pour l’autre et des affinités dans leur sensibilité. Elle s’inscrit dans le rapport maître — élève. On connaît par exemple le lien très fort qui s’établit entre Heinrich Neuhaus et Sviatoslav Richter. Alfred Cortot emploie le mot sortilège pour mettre un vocable sur cet échange un peu magique qui fonctionne parfois entre deux personnes.

Cette rencontre privilégiée n’est pas systématique dans l’enseignement et lorsqu’elle n’intervient pas l’enseignement se réduit à transmettre un savoir-faire.

Il ne faut pas oublier que l’élève-musicien est déjà un peu différent des autres dans la mesure où il se sent attiré par ce style de langage. Le rôle de son maître consiste à lui imposer de ressentir quelque chose de très bien défini, à le mettre en condition de ressentir le plus précisément possible. Mais en dehors de certaines techniques assez générales, on ne peut rien apprendre à d’autres[…]. J’attribue à l’enseignement un rôle finalement très limité. [30]


Cette limite de l’enseignement se ressent peut-être, au moment où ce qui était transmissible l’a été et qu’il reste au pianiste-apprenti à faire ce chemin qui passe de la connaissance à l’expérience de la musique vécue.

Une sonate de Ludwig van Beethoven jouée en public à l’âge de trente ans par un pianiste et rejouée vingt ans plus tard, ne représente pas une seule et même interprétation. Entre les deux exécutions, vingt ans d’une vie se seront écoulés, et le regard porté sur cette même œuvre sera chargé des expériences de sa vie, du contexte culturel dans lequel il vit et qui aura changé. Elle sera marquée de ses rencontres, de ses lectures et de tout ce qui, en lui, aura cheminé. C’est ainsi que la musique peut « vivre » et qu’elle continue à être interprétée en donnant à entendre au public, en les rendant audibles et compréhensibles, une proposition de « sens » à une œuvre et son caractère expressif. Cette proposition de sens n’a pas valeur de vérité, elle représente l’opinion individuelle et éphémère d’un artiste dans un temps donné par le contexte du concert.





27 Cortot Alfred, Principes rationnels de la technique pianistique, Paris, Salabert, 1928.

28 Ibid.

29 Gavoty Bernard, Alfred Cortot, Paris, Buchet-Chastel, p.78.

30 Lafaye Jean-Jacques, Aldo Ciccolini, Musique et Vérité, entretiens, Paris, Éditions du Felin, 1998, p. 65.


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