Le toucher pianistique

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II. LE TOUCHER ET LA TECHNIQUE


A. La main et le toucher

Le toucher est un des cinq sens. Les mains sont les organes de préhension et du toucher. Dans la vie quotidienne, elles nous permettent de saisir des objets et de les identifier dans leur forme, leur aspect, leur texture et leur température.

Les mains sont, dans bien des professions, de véritables outils de précision. C’est le cas dans les disciplines artistiques où elles exécutent des gestes très précis par le biais d’une technique. Cette définition peut être appliquée à bien des métiers, notamment aux artisans. S’il est une différence, elle n’est pas à chercher du côté de la qualité, de la beauté ou la technicité. Ce qui les distingue vraiment, c’est la finalité. Cette dernière met l’artisan du côté d’une production utile au quotidien de la vie, et l’artiste du côté d’une production destinée à manifester la spiritualité de l’individu. L’interprète, comme le peintre et le sculpteur, traduit sa pensée artistique au moyen de ses mains.

Le toucher pratiqué par les pianistes fait référence à un ensemble de gestes techniques. Il évoque la pulpe du doigt, qui est la partie du corps en contact avec le clavier mais le dos, les épaules, les bras, les poignets, les mains, le bassin, les jambes et les pieds ont participé à ce geste. C’est la sensation de la pulpe du doigt qui permet au pianiste de prendre conscience de sa rencontre avec le clavier. Cette sensation physique est associée à une correspondance sonore. Le travail sur le toucher est toujours mené de front avec celui exercé sur l’oreille. Le toucher pourrait se définir par la correspondance établie entre une attitude physique et le son envisagé, mentalement, par le pianiste.               

D’un point de vue mécanique, nous l’avons vu, la qualité d’un son au piano, est déterminée par la vitesse d’attaque du marteau et par sa dynamique. Toute l’histoire de la technique, nous le verrons, cherche ces correspondances entre le physique et le mental qui permettront au pianiste d’acquérir une « palette sonore ».

Pris substantivement, le toucher désigne la manière de jouer d’un instrument à clavier, d’en frapper les touches. Si le jeu de l’orgue et du clavecin exige surtout une attaque nette et précise, le toucher est beaucoup plus subtil et diversifié dans le jeu du piano où il a un rôle prépondérant. C’est de sa qualité que dépendent la beauté du son et la variété de la palette sonore[…] c’est lui qui, avec le phrasé, confère sa valeur artistique à l’exécution. [2]



On retrouve d’ailleurs dans la définition du toucher, dans son sens général, les caractéristiques qui définissent le toucher pianistique dans cette citation.

Le Toucher : emploi substantivé du verbe toukier (1226) désigne le sens du tact, puis l‘action (vers 1150) et la manière de toucher (1636). [3]


En effet, on peut établir un parallèle entre le sens du tact de la définition et le fait tout simplement de toucher la touche du clavier. L’action désigne l’attaque et la manière de toucher correspond à la qualité du toucher.


La proposition de définition du toucher telle qu’elle figure dans le dictionnaire musical de Marc Honegger pose clairement le toucher comme un élément important de la technique instrumentale et le situe en même temps, dans le registre de l’expressivité. En fait, il serait plus juste de le placer d’emblée au-delà de la technique, car « la manière d’en frapper les touches » ici ne désigne pas le geste nécessaire pour jouer de l’instrument, mais bien plus « la qualité » de ce geste, qui, comme le souligne l’énoncé, déterminera la beauté de la sonorité.


En matière de sonorité, le cas du piano est un peu particulier. Par rapport à d’autres instruments, il a la particularité d’être éloigné, au sens géographique, des éléments qui produisent le son : les cordes. Les instruments à cordes ne sont pas dans cette situation puisqu’ils permettent un contact direct avec la corde et peuvent à tout moment du jeu intervenir sur la hauteur, l’intensité, la couleur. Les instruments à vent sont, eux aussi, au plus près de ce qui est à la source du son : la colonne d’air.

Nous le rappelons, le piano est tributaire d’une mécanique intermédiaire : il y a une soixantaine de pièces qui interviennent entre une touche du clavier et le marteau qui frappe la corde du piano. D’autre part, le temps qui est imparti au pianiste pour donner à une sonorité sa dynamique et sa couleur est très court et son action définitive. Une fois le geste accompli, les propriétés physiques de l’instrument feront que le son mourra de lui-même, sans que l’on puisse le soutenir, le prolonger sans l’intervention de la pédale.


La recherche d’une qualité de toucher, nous l’avons vu, met le pianiste dans l’obligation d’être très précis. À la base de cette précision, il y a la référence au toucher, pris en tant que sensation tactile. Les instrumentistes « touchent » leurs instruments, avec la conscience du matériau qui est sous leurs doigts et associent le toucher au plaisir sensuel : le plaisir de manipuler une matière et/ou le plaisir de jouer d’un instrument de musique. Charles ROSEN le dit explicitement :   

Jouer d’un instrument est un plaisir physique, musculaire. On ne devient pas pianiste à moins de ressentir un plaisir intense à mettre ses doigts en contact avec les touches… le fait d’imaginer les sonorités contribue au plaisir de jouer, mais le plaisir principal est celui du contact physique avec l’instrument.  [4] 


Le piano et les instruments à clavier, sont encore dans une situation singulière. Tenir un violoncelle contre soi, entre ses bras, en sentir les vibrations, est une réalité qui place le violoncelliste incontestablement dans une relation de proximité avec son instrument. Il n’en va pas de même pour le piano. Ce grand instrument n’offre pas spontanément une image de convivialité. Au premier regard, il pourrait sembler qu’un pianiste est plutôt dans la situation de « dompter » son instrument. Mais cela ne contredit en rien les propos de Charles ROSEN. Personne ne contestera le plaisir « acrobatique » du jeu pianistique, et si le temps est compté, comme nous le disions précédemment, pour le pianiste dans la réalisation de ses effets sonores, c’est peut-être dans cette précarité que l’on peut comprendre que le toucher soit un plaisir de contact réel avec un instrument qui semble se dérober.


Le mot toucher, pris au sens figuré, prend le sens d’émouvoir. Émouvoir, c’est provoquer une réaction en suscitant l’intérêt d’une personne. Par ses choix d’interprétation, le pianiste redonne vie à l’œuvre écrite d’un compositeur et ce sont les qualités de son toucher qui véhiculeront sa conception musicale et sauront ou non toucher son auditoire. Le domaine purement technique est dépassé. Nous sommes alors dans ce qu’il devient difficile de nommer. Le vocabulaire se fait poétique et le pianiste se fait artiste.




2 Sciences de la musique (Technique, formes, instruments, dir. Marc Honegger), Paris, Bordas, 1976, Volume 2, p.1023.   

3 Le Robert (dictionnaire historique de la langue française, dir. Alain Rey), Paris, Les Dictionnaires Robert, 1992, Tome 2, p. 2139.

4 Rosen Charles, Plaisir de jouer, plaisir de penser, Paris, Eshel, 1993, p. 57.


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